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        Les soixante-huitards attardés
		Mon grand-père, ouvrier paysan, était descendu de sa Lozère natale et 
		rencontra ma grand-mère au cours d'un travail saisonnier. D'abord au 
		pied du Pic St-Loup, dans la ferme des parents de ma grand'mère, puis 
		ouvrier agricole dans les fermes du Gard et de l'Hérault, il s'installa 
		dans la région. 
		Notre histoire commence à Nîmes, en 1964 après notre mariage. Nous 
		avions toujours rêvé de la campagne, d'un retour à la terre. Mon mari 
		Philippe travaillait à la DDE, j'étais comptable dans une PME nîmoise. 
		Nous habitions en HLM. L'échappatoire n'était pas du tout la mer, mais 
		les rivières et la verdure, les arbres de l'arrière-pays gardois où nous 
		allions régulièrement tous les week-ends, carte IGN en poche. De 
		l'Aigoual au Mont Lozère, nous avons beaucoup marché dans les Cévennes 
		entre 1961 et 1967. Pendant son adolescence, chaque été, mon mari venait 
		faire de la spéléologie sur la Cèze et l'Ardèche. En Juin 1968, nous 
		prenions nos vacances au bord de la Cèze en camping sauvage avec notre 
		petite 2CV. Après avoir crevé deux fois, Philippe, plutôt que de faire 
		la route pour aller chercher une roue de secours (20 km), avait remonté 
		la rivière "la Cèze" en passant par les gorges. A son retour, il était 
		revenu enthousiasmé de revoir cette vallée sauvage. Ce fut le déclic ; 
		nous décidâmes, d'un commun accord, d'acquérir du terrain le plus près 
		possible de la Cèze pour nous installer pour les vacances. 
		Grâce au premier agriculteur que nous avons rencontré, ce fut fait. 
		Il nous proposa un bord de rivière d'un hectare, une ancienne vigne avec 
		en un jardin contrebas qu'il cultivait l'été. Le chemin d'accès était un 
		sentier de chèvre, mais dès l'année suivante nous construisions un petit 
		chalet en bois de 12 m2, équipé comme une caravane.
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         Le désir de vivre en pleine nature et loin des villes était ancré dans 
		nos rêves depuis longtemps. Nous pensions créer un petit camping de 33 
		emplacements et le tenir à tour de rôle, un mois chacun, en 
		juillet-août. Un modèle de camping simple, au milieu de la nature 
		vierge, avec un confort de base : pas d'électricité, seulement un groupe 
		électrogène pour monter l'eau potable de la nappe phréatique dans une 
		petite citerne d'eau, et des emplacements au gré des arbres existants. 
		Après quelques années de péripéties avec les administrations pour les 
		autorisations d'ouverture, en 1975 le camping naturiste "Les Bois de la 
		Sablière" voit le jour ! Avec seulement 33 emplacements, impossible d'en 
		vivre, aussi avons-nous rapidement augmenté la capacité à 100 
		emplacements et Philippe a cessé son activité à la DDE de Nîmes pour 
		s'installer dans le petit chalet. Durant deux années, mon mari 
		continuait de réaliser les aménagements indispensables : emplacements 
		réalisés à la main avec des murs en pierres sèches pour compenser le 
		dénivelé, débroussaillage, entretien des chemins de terre, etc. Pour 
		faire bouillir la marmite, je continuai de travailler durant deux ans, 
		et je venais le rejoindre tous les week-ends. Nous sommes passés du 
		confort d'un HLM nîmois à un retour aux sources, dans un petit 
		chalet-caravane sans eau avec seulement une citerne de 2 m3, sans 
		électricité, et uniquement un éclairage au gaz. 
		C'était très précaire mais c'était notre choix ! Heureusement, nous 
		allions l'hiver régulièrement chez les parents à Nîmes qui nous lavaient 
		le linge et nous donnaient le réconfort d'un toit bien chaud. 
		Plus tard, nous avons construit de nos mains une petite maison sur 
		une ancienne charbonnière et y avons vécu pendant huit ans comme au 
		19ème siècle. Sans électricité, ni confort, en dehors des mois de 
		Juillet et Août où le groupe électrogène devait fonctionner pour monter 
		l'eau potable du puits pour alimenter nos quelques vacanciers. Nous 
		avons aussi adopté le mode de vie des agriculteurs, c'est à dire tuer le 
		cochon l'hiver et faire des conserves qui nous permettraient d'avoir des 
		réserves de viande, pâtés, caillettes d'herbes, saucissons, jambons. 
		Nous achetions directement le cochon dans une ferme des environs avec 
		qui nous nous entraidions : une journée pour notre cochon, contre une 
		journée pour le leur. Je tenais ces petits savoirs de mes grands 
		parents, chez qui j'avais souvent assisté à la préparation, la 
		fabrication du boudin, des saucisses, du bout du monde et ensuite du 
		cervelas... Comme nous avions des châtaigniers, je fabriquais la 
		confiture, les marrons glacés souvent plus vite mangés que préparés, de 
		la pâte de coings avec les cognassiers sauvages du bord de la Cèze. Je 
		faisais aussi des conserves de gardons de la rivière. Cela ressemblait 
		beaucoup aux sardines, car j'y ajoutais des aromates : thym, laurier, 
		sarriette et un peu de citron. Nous avions bien essayé de faire un jardin 
		potager, mais les sangliers se chargeaient de tout détruire. 
		Comme la télévision n'était pas encore présente comme aujourd'hui, à 
		chaque saison, il y avait les veillées : pour la nouvelle année, pour la 
		Chandeleur, pour Pâques avec l'omelette pascale au bord de la rivière et 
		ensuite à l'automne, on allait vendanger pendant un ou deux jours. Après 
		nous faisions une castagnade, châtaignes grillées avec la sartan au feu 
		de cheminée. Dans cet arrière pays gardois très attaché à ces 
		traditions, nous parlions le plus souvent le patois, maintenant presque 
		disparu. Heureusement que mon grand-père maternel ne parlait 
		pratiquement que ça, et cela m'a bien aidé à cette époque, de 1968 à 
		1985. 
		Dans les années 1980, nous nous rendions compte que nous avions beaucoup 
		de difficultés financières. Si nous voulions survivre, il nous fallait 
		évoluer vers une structure plus confortable. Au programme : une 
		superette, une boucherie, un restaurant, un bureau d'accueil, 200 
		emplacements supplémentaires avec de nouveaux sanitaires et quelques 
		locations de tentes prêtes à vivre, plus de petits chalets en bois pour 
		compléter. Cela nous permettrait de financer les investissements prévus. 
		En 1985, l'évolution des campings prenait une tournure plus dynamique 
		avec des infrastructures lourdes : piscines, toboggan, terrain de 
		tennis, mini-golf, parcours de santé, et des routes goudronnées, de 
		l'animation. Nous voyions notre clientèle naturiste évoluer et nous 
		quitter pour ce type de camping plus confortable. Nous avions du mal à 
		comprendre que le milieu naturel et la belle rivière ne suffisaient plus 
		à satisfaire leurs envies. 
		En 1989, nous avons fait un état des lieux. Nous allions rentrer dans 
		le rang, et définitivement dans les affaires. C'est ainsi qu'en 1990 
		nous avons réalisé de lourds investissements : piscine, salle 
		polyvalente, sauna, mini-golf et installé les premiers mobil-homes 
		d'occasion pour proposer une nouvelle formule de vacances familiales 
		avec animations. Suivirent en 1991 une deuxième piscine, un terrain de 
		tennis, un parcours de santé... 
		En 1992 mon mari Philippe nous quittait brutalement, à 50 ans. 
		Depuis, j'ai continué de réaliser les aménagements que nous avions 
		prévus tous les deux. Aujourd'hui, et malgré toutes ces années passées à 
		travailler d'arrache-pied, même si nous avons perdu un peu de l'idéal de 
		notre jeunesse, mon œil brille encore. Mon bonheur est de voir à la fin 
		de leurs vacances les familles qui me disent : "nous avons passés des 
		vacances merveilleuses, dans votre site préservé et si proche de la 
		nature". 
		J'espère que mes successeurs conserveront cet espace naturel et 
		qu'ils le protégeront des prédateurs immobiliers. 
		Cette création de camping qui perdure m'a permis de vivre dans cet 
		espace naturel avec générosité envers les miens. Chaque année, bon 
		nombre de campeurs (mais peut-on dire clients ?) des temps passés, nous 
		annoncent enfants et petits-enfants, douleurs et nouveaux bonheurs. Ils 
		contribuent par ce partage continu à m'ancrer dans mes choix de jeune 
		femme et me rendent fière de ma petite contribution. 
		Gaby Cespédès,  
		propriétaire et gérante  
		du camping depuis 34 ans 2009  |